A l’occasion de son départ en retraite, l'équipe de recherche du CRIEF vous propose une interview de Christian Aubin.

Parlez nous de votre parcours.

Mon parcours est essentiellement poitevin. En dehors d’un DEA d’économie internationale à Tours, j’ai suivi toute ma formation universitaire à la faculté d’économie de Poitiers. J’y ai également fait toute ma carrière. Mais sédentarité ne veut pas dire monotonie tant sont diverses les tâches du métier d’enseignant-chercheur. J’en ai exploré toutes les dimensions :

  • la pédagogie avec des publics de tous les niveaux (j’ai toujours souhaité conservé des enseignements à la fois en début et en fin de cursus) et des méthodes variées (en présentiel ou à distance) ;
  • la recherche avec notamment la direction du laboratoire GRIEF (1992-1999) puis d’une de ses équipes internes après sa transformation en CRIEF ;
  • l’administration au sein de l’UFR, comme assesseur (1999-2003) puis Doyen (2004-2012), et à travers la participation aux différents conseils de l’université.

Cette variété des tâches s’est accompagnée de temps forts dont je garde le souvenir plus marqué. Je repense par exemple au montage d’un programme intensif européen, à des collaborations avec des instances nationales d’évaluation de la recherche ou l’organisation de colloques scientifiques. Au final, si je me réfère à mon expérience, on peut faire carrière à Poitiers sans s’y ennuyer !

 

Quelles sont les thématiques de recherche sur lesquelles vous avez travaillé ?

Au gré des rencontres et des opportunités, mes travaux ont abordé des sujets assez divers. Néanmoins, j’ai eu deux domaines de prédilection : la monnaie et l’économie internationale. Mon intérêt pour les questions monétaires est venu dans le sillage de ma thèse de doctorat sur le rôle de la banque centrale. L’économie internationale, qui m’avait attiré dès mes années de licence et maîtrise, a toujours occupé une part importante dans mes activités d’enseignement. Je peux ajouter que, dans les deux domaines, ce sont les thématiques liées aux politiques économiques qui ont le plus retenu mon attention : protectionnisme, accords régionaux, coordination internationale, politique monétaire, banque centrale. Cette intersection sur les politiques vient de mes premières années de recherche inscrites dans le cadre de l’analyse des choix publics.

 

Quelles ont été les grandes questions qui ont, tour à tour, animé les chercheurs, sur les thèmes du commerce international ou de la politique monétaire ?

Vaste question s’il faut faire un bilan sur 40 ans ! Il s’en est passé des choses et je vais sûrement en oublier ; il faudra mettre ces oublis sur le compte de l’âge ! En commerce international, on a vu se développer largement les modélisations en concurrence imparfaite ; le débat bilatéralisme contre multilatéralisme a accompagné le développement des accords régionaux ; la mondialisation a invité les questions de délocalisation, d’investissements directs internationaux ou de chaines de valeur mondiales. En matière de politique monétaire, les débats au début de la période portaient surtout sur l’arbitrage entre stabilité monétaire et stabilité réelle face à l’incohérence temporelle ; depuis, la question de l’arbitrage entre stabilité monétaire et stabilité financière est devenue plus prégnante.

 

Est-ce qu’il y a des questions ou des travaux sur lesquels vous vous êtes investis que vous souhaiteriez nous présenter ?

Plutôt que des résultats marquants, je préfère évoquer un aspect de la démarche analytique auquel je suis attaché sur les questions de politique économique. Pour faire le lien avec la théorie économique, je partirai de la théorie de l’optimum de second rang, théorie relevant de l’économie publique avec une application emblématique dans la théorie des unions douanières. Pour faire simple, cette théorie nous dit que, lorsqu’il existe une multiplicité d’obstacles à la réalisation de l’optimum de premier rang, l’élimination partielle de ces obstacles ne garantit pas une amélioration de la situation. Pour moi, ce résultat est une mise en garde contre l’énoncé de propositions normatives construites de façon trop hâtive, sans prendre en considération tous les éléments explicatifs du comportement des acteurs impliqués dans la mise en œuvre des politiques. C’est pour cela que j’accorde beaucoup d’intérêt à l’analyse positive des choix publics. Les choix de politique économique sont alors analysés comme résultant du comportement rationnel des décideurs avec leurs objectifs et leurs contraintes propres. L’analyse peut ainsi recommander des schémas d’incitations adaptés pour atteindre un objectif donné. La démarche me paraît utile pour réduire le risque de déconvenues que comporte la promotion de solutions normatives trop largement fondées sur la fiction d’un Etat despote éclairé et bienveillant.

 

Quels changements marquants du monde scientifique et du métier d’enseignant-chercheur avez-vous pu constater pendant votre carrière ?

Encore une vaste question ! piégeante en plus, car on peut vite se laisser prendre par la nostalgie du bon vieux temps des années de jeunesse. A bien y réfléchir, le changement technologique a peut-être été l’élément le plus marquant. Mes tout premiers calculs économétriques je les ai faits en utilisant des cartes perforées comme support d’un logiciel maison et de données récupérées manuellement dans les publications papier ; il fallait ensuite attendre les résultats rendus par l’ordinateur central unique de l’université. Aujourd’hui, même s’il faut parfois faire un peu de programmation, on dispose de logiciels offrant une multitude de possibilités, on peut directement télécharger des bases de données et chacun possède un ordinateur portable aux capacités plus grandes que celles de l’unique ordinateur central d’antan. Qu’il s’agisse de simulations théoriques ou d’estimations économétriques, ce changement technique a ouvert le champ des possibles et permis de gérer plus facilement les calculs. C’est un réel progrès de l’outil au service de la recherche. Cela permet, par exemple, d’aller plus loin dans la formalisation explicite des interactions complexes en équilibre général ou de donner plus de rigueur aux validations empiriques. Un bémol cependant, selon moi : sous la pression du « publish or perish », ce progrès a parfois conduit à multiplier des travaux en se contentant de chercher l’originalité dans l’utilisation de la dernière technique disponible ou de données inédites ou encore dans une nouvelle variante du modèle. Qui plus est, la relative facilité d’utilisation de l’outil peut faire baisser la vigilance quant aux limites inhérentes de telle ou telle technique. Si l’on n’y prend pas garde, le progrès de l’outil peut déboucher sur une augmentation plus quantitative que qualitative de la production scientifique.

En matière de pédagogie, le changement technologique a aussi fait son œuvre. Il a permis de rendre plus facilement accessible un ensemble de supports variés. L’expérience récente a montré qu’il pouvait être un allié utile dans des situations contraintes exceptionnelles. Mais, plus encore qu’en matière de recherche, je pense qu’il faut rester très vigilant. Il faut prendre garde de ne pas trop ajouter à un environnement qui multiplie déjà les sollicitations et transmissions d’informations de tous ordres, incitant au « zapping » plus qu’à la concentration. On ne peut ignorer cette évolution pas plus que l’ouverture de l’université au plus grand nombre. Le public étudiant a bien changé… Mais c’est ce que disaient déjà mes collègues plus anciens quand j’ai commencé à enseigner. En fait, même s’il prend à chaque période une forme spécifique, le changement se poursuit de génération en génération. Face à ce changement, le défi pour l’enseignant est de savoir toujours s’adapter à son public étudiant non pas pour le suivre, mais pour le guider vers l’objectif qu’il lui a fixé.

 

Est-ce qu’il y a des questions qui restent pour vous des énigmes en économie ou que vous souhaiteriez approfondir ?

Bien sûr, il m’est arrivé pendant ma carrière, après avoir lu un article ou écouté une communication, de me dire qu’il serait intéressant d’approfondir le sujet et, ensuite, d’être passé à autre chose sans l’avoir fait. Mais je n’ai pas vraiment de regrets. Quant aux questions non répondues ou énigmes en économie, je vous les laisse !

 

Quelles sont vos activités en tant que professeur émérite ?

Actuellement, je termine la rédaction d’un travail sur l’histoire du monopole d’émission des billets de banque. C’est un sujet que j’avais abordé peu après mon doctorat en m’intéressant aux origines des banques centrales. J’ai repris cette recherche il y a environ un an. Elle devrait déboucher sur un ouvrage que j’espère pouvoir proposer pour publication dans les prochains mois. Nous aurons peut-être l’occasion d’en reparler.